Récit de voyage : La Baie d’Ha-Long au Viêt Nam
Récit d’un voyage dans la Baie d’Ha-Long au Viêt Nam …
Il y a le silence. Pas un clapot, pas un cri d’oiseau. Les sampans amarrés aux rocs ont l’air de roussettes collées aux murailles.
Ha-Long signifie « là où le dragon descend de la mer ». La légende veut qu’un énorme dragon ait vécu dans la montagne. Courant un jour vers la mer, il créa, en frappant les roches de sa gigantesque queue,
les vallées et les crevasses de la région. Lorsqu’il plongea brutalement dans la mer, les trous qu’il avait creusés s’emplirent d’eau, ne laissant derrière lui que quelques terres émergées.
Elle détaille sans la voir la morne plaine qui défile sous ses yeux depuis le matin. Qui sournoisement s’est obscurcie pour glisser dans un monde sans couleur. Un lavis noir et blanc lugubre et sale où les êtres ont l’air éberlué de chouettes sans espoir. L’anthracite est le sombre trésor de ce pays où les mines à ciel ouvert cernent l’horizon de fumerolles crépusculaires.
Dans l’aube trempée d’une brume hantée de sampans fantômes qui frôlent sans les voir les grands
monolithes noirs, nu-pieds sur le pont de la jonque, j’avoue être envoûtée par le miracle de la lumière,
par ce silence qui sonne comme un glas, par le sortilège de ce Vietnam revisité.
Le choc des flots nacrés n’en paraît que plus irréel. Elle les reçoit comme une gifle qui la plonge dans un état de stupeur extatique. Sur l’eau étincelante tendue comme un miroir, une cité dresse ses palais de calcaire, ses pagodes tourmentées, ses portiques, ses longs murs aveugles. Tout se hausse, minéral, sans une trace humaine ou animale, immense ville morte qui attend ses dieux. C’est la pétrification absolue. Avec une violence infinie dans cette même inertie. Tous ces récifs s’élancent, tournoient et retombent en des convulsions tragiques de vie, extravagances insensées à la fois vibrantes et immobiles. Et puis il y a le silence. Il faudrait presque dire le mutisme du lieu. Pas un clapot, pas une vague, pas un cri d’oiseau. Les sampans amarrés aux rocs, hérissés de leurs voiles brunes et dentelées, ont l’air de roussettes collées aux murailles. Eux aussi semblent tétanisés par l’absence de bruit, par l’effarante impression de vide.
Je flotte sur la baie d’Ha-Long où les rocs, pénétrés de clarté, se subliment et flottent en apesanteur, transformés en brouillards roses, violâtres, évanescents. Pendant des jours et des nuits un sampan peut glisser au risque de se perdre sur cet échiquier de jade, ce désert marin jonché d’une pluie de falaises, d’écroulements prodigieux, de failles échevelées.