Avis sur le livre : Canaux de France
Sous ce titre (Canaux de France , éditions du Chêne, 2006, 188 pages), Michel-Paul Simon nous invite à le suivre pour un total dépaysement au coeur même de notre beau pays, en empruntant les voies navigables,
« autoroutes liquides » à grand gabarit ou « petits canaux du temps des rois […], canaux adorables, parfois minuscules, bordés d’écluses de poupées, qui s’insinuent dans la campagne par des ouvrages d’art stupéfiants d’audace »
Le ton est donné. Et l’auteur connaît parfaitement cet univers particulier qu’il a fait sien : spécialiste des voies d’eau, fondateur du magazine Fluvial, il éprouve un évident plaisir à tenir lui-même la barre. Il prend le temps de savourer cette « flânerie délicieuse », puisque sur l’eau, le temps adopte un autre rythme, partagé entre les manoeuvres et la vie à bord, la causette à l’écluse, les haltes dans les villes ou villages dont on découvre les richesses touristiques tout en faisant le plein de provisions. Sur l’eau, les rencontres ne sont ni fuyantes, ni anonymes. Bateliers professionnels et navigateurs de plaisance apprennent à faire route commune, à l’écart de ces autres voies de circulation où l’on rivalise de vitesse et de stress.
Parfois, la poésie fait place à la technique et à l’histoire. Du canal de Lalinde ou canal des Mousquetaires, où l’on fait la connaissance du dernier gabarier de la Dordogne, à celui de la Sauldre « qui va de nulle part à nulle part », du canal de Briare, qui fut inauguré un siècle après sa construction, à celui du Midi, où l’on marque un long temps d’arrêt à la célèbre montée de Fontsérannes, « véritable chef-d’oeuvre d’hydraulique monumentale », du canal du Nivernais, qui était à l’origine une rigole pour le flottage du bois, aux canaux bretons ou parisiens, l’inventaire est complet.
L’écriture est celle d’un spécialiste en us et coutumes du monde de la navigation, d’un historien des nombreux ouvrages d’art qui ponctuent le long tracé des canaux, d’un passionné assurément qui sait, à l’occasion, hausser le ton. Et de rappeler, entre autres anecdotes, cette péripétie dont les Parisiens se souviennent sans doute encore : un projet s’était risqué à voir le jour, vers 1955, de combler le canal Saint-Martin pour en faire un axe de circulation automobile. Cet affront, martèle l’auteur, était le fait d’une « bande de malfaiteurs dont le chef disait exercer le métier de préfet ». Rien que cela ! On aura, en tout cas, compris la démonstration…
Voici un ouvrage qui suffit à notre bonheur, quelle que soit l’abondante bibliographie sur le sujet. En compagnie de Michel-Paul Simon, guidé également par la somptueuse iconographie qui illumine chaque page du livre, nous partons à la découverte d’un patrimoine trop méconnu qui nous emmène vers ces ailleurs où la « bonne conduite » – rareté de notre époque – est l’un des charmes de ce « monde discret, un des plus fascinants que nous réserve notre pays ».